Erasmus Mundus Joint Master Degree Cultures Littéraires Européennes

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Graduations 1 - 4 July 2024, Università di Bologna, Italy

Students' intake 2023-25

Antoine Duthion's speech

Il y a 6 ans, presque jour pour jour, je quittais les bureaux d’Amazon Costa Rica, des rêves plein la tête ; j’irais chercher dans l’étude de la littérature l’antithèse de ce monde entrepreneurial climatisé, aliénant, où le brouhaha de centaines de claviers me semblait sans cesse reprendre ces paroles de Dylan: "he not busy being born is busy dying".

La redécouverte de la littérature avait été pour moi, à cette époque, une réelle échappatoire, un dépaysement, un authentique voyage, en somme. Il m’était donc naturellement impossible, pour mes études, de me cantonner au sein des frontières d’une littérature nationale, qui plus est scindée en deux par le grand schisme qui séparerait le "classique" du "moderne".

Cultures Littéraires Européennes; le nom a tout pour séduire, en effet on ne peut plus général, plus vaste, en bref, plus prometteur pour celui qui, vous me pardonnerez le jeu de mot, cherche à prendre la Clé des champs. Je pense que beaucoup d’entres nous avons pu être tentés, par amour des langues ou animés par une idée transfrontalière de la littérature, par cette ambition d’embrasser la tranche la plus vaste possible de l’art littéraire pour la courte durée de nos études. Impression de pari raté ou réussi, c’est à voir au cas par cas, il n’empêche qu’il me plait de mettre en évidence ce premier lien qui me lie à mes camarades: un goût pour l’aventure et une ambition débordante.

En effet, chers camarades, félicitons-nous un instant de notre courage d’avoir été chercher – si loin pour beaucoup d’entre vous – l’amour du texte hors du confort d’une langue maternelle ou d’une littérature nationale ; il ne faut pas minimiser l’originalité de notre choix. C’était aussi le courage de se confronter à un système éducatif différent, ce qui demande des sacrifices, une importante capacité d’adaptation ; capacité dont témoignent tous ceux qui ici ce soir reçoivent leur attestation !

Aventurier, l’étudiant CLE est donc d’abord et avant tout un voyageur : combien d’entre vous ai-je vu, ne serait-ce que le week end dernier, trimbaler toute une vie dans deux valises pleines à craquer et un gros sac à dos, maudissant chacun des pas qui, répondant à cette envie irrépressible d’aller chercher ailleurs, vous ont porté loin et plus loin encore étudier la discipline dont nous partageons l’amour. Voyageur dans l’espace mais aussi bien entendu dans le temps : que ce soit ceux qui à Lisbonne cherchent à remonter aux sources de cette littérature européenne que ceux qui ont choisit de nous offrir une première traduction d’un ouvrage hyper-récent, j’ai pu admirer la variété des intérêts et des sensibilités qui portent l’ensemble d’entre vous.

L’admiration : c’est le second lien qui m’attache à vous que j’aimerais souligner. Pendant ces deux années de master CLE, j’ai rencontré des personnes extraordinaires : chacun d’entre nous pourrait répéter cette phrase, pensant à des individus divers, peut-être même, pourquoi pas, pensant à des personnes en dehors du programme lui-même ; elle n’en demeure pas moins vraie, j’en suis convaincu, pour l’ensemble d’entre nous.

J’ai tout d’abord rencontré d’incroyables linguistes. Des camarades qui, en l’espace d’un an et demi vous maitrisent une langue comme certains s’acharneraient une vie à le faire. Que ce soit le portugais, l’italien, le français, le grec : nous avons tous en tête un ou deux ou trois amis qui nous ont laissé abasourdi par leur capacitée à s’approprier une langue en si peu de temps. Alors que vous chercher encore à savoir comment vous faire indiquer, dans une langue qui vous est encore presque totalement étrangère, le chemin la plus rapide pour la gare ; ils ont déjà lu et traduit un ou deux poèmes qui leur avait plu, juste comme ça. 

J’ai ensuite rencontré de vrai chercheurs dans l’âme, des esprits curieux, parfois même passionnés, qui savent parfaitement pourquoi et comment ils sont là. Ils souhaitent continuer leur plongée dans les archives et les laboratoires des académies, ils le doivent ; ce monde-là à autant besoin d’eux qu’ils ont besoin de lui pour vivre.

J’ai connu de véritables créateurs. Ceux qui comme vous et moi rêvent d’écrire et le font, peut-être, un peu plus que nous. Qu’ils le disent ou le taisent on les devine, et même si certains ne sont pas encore prêt à se révéler au grand jour, d’autres ont su saisir l’occasion pour mettre en pratique leur art. J’ai eu plaisir de lire certains d’entre vous, j’ai eu le plaisir d’apprendre que certains d’entre vous avaient été primés pendant ce master, j’ai le plaisir de m’imaginer un jour raconter vous avoir croisé. 

Enfin, j’ai aimé ceux qui ont su s’aimer. Ceux qui n’ont pas simplement vécu ces années pour le défi d’apprendre une nouvelle langue, pour la passion de la science et du savoir, pour le rêve de l’écriture ou pour l’inclination au voyage : mais qui les ont aussi tout simplement vécus pour aimer les autres – ne les oublions pas ! Nombre d’entre nous avons connu quelqu’un ou quelqu’une avec qui vivre une partie de cette expérience. D’autres ont trouvé un amour non moins merveilleux et chaleureux au sein des amitiés qu’ils ont effectué ; amis pour la vie, amici per la vita ; je sais que les serments vont fuser dans les heures qui vont suivre et pourquoi douter de leur sincérité ! Encore une fois, nous avons tous quelqu’un en tête.

J’imagine qu’au sein de la grande famille du CLE nous rassemblons tous, d’une manière plus ou moins marquée, l’ensemble de ces soi-disant catégories que je viens d’ébaucher – nous venons de pays si divers, de contextes si différents, de traditions si lointaines et pourtant ce qui nous distingue se joue à si peu ; c’est un merveilleux mystère qui n’est révélé qu’à ceux qui ont eu la chance de pouvoir effectuer un programme comme le nôtre : comment aurions-nous pu autrement côtoyer, si longuement, des personnes si lointaines pour finalement se rendre compte qu’elles nous étaient si proches ?
Du Bellay se trouvait mieux chez lui, va pour Du Bellay !  Moi je me sens chez moi à vos côtés : la curiosité, l’audace et l’éternelle insatisfaction que nous avons en partage a été mon authentique domicile durant ces deux années ; je vous en remercie. Et si maintenant, clopin-clopant, nous nous séparons pour prendre des chemins qui nous rapportent à la maison, ou vers une nouvelle aventure, nous emportons tous certainement avec nous un morceaux de ce « chez soi » temporaire que nous avons su construire ensemble.

La route s’annonce périlleuse, rien ne sert de se le cacher. Certains des camarades ici présents ainsi que leurs proches souffrent des conflits récents qui chaque jour menacent de propager leur haine destructrice sur un territoire toujours plus étendu. Cette même Europe dont nous étudions les trésors textuels semblerait sentir s’éveiller dans ses entrailles la bile millénaire de la violence dont elle a offert des manifestations indicibles. Enfin, le marché globalisé de l’hyperconsommation au sein duquel nous sommes nés menace de plus en plus le peu d’harmonie et de beauté d’un monde déjà si discordant.
 
Et pourtant, et pourtant, comme chantait le chanteur, pourtant je crois avoir lu quelque part, récemment, que le quotidien est un champ d’action, et je suis convaincu que, face au charybdes et aux Sylla que nous réserve l’époque, nous saurons employer dans nos vies, même au sein des plus petits gestes et évènements, la mémoire de ces rencontres et de ses partages que nous avons pu réaliser ces deux dernières années.
On ne peut savoir ce que nous réserve l’avenir. Je peux néanmoins affirmer que ces deux années de maitrise à vos côtés ont très certainement été parmi les plus belles de ma vie, et même si celle-ci venait à devoir être à nouveau rythmée par le maudit cliquetis des claviers d’entreprise ; j’ai désormais la certitude d’avoir fait un beau voyage. Merci.


 

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