Erasmus Mundus Joint Master Degree Cultures Littéraires Européennes


Ian Iracheta Garcìa's speech (Aristotle University of Thessaloniki)

 

Le premier jour de cours en France j’ai appris que j’étais le seul étudiant de Strasbourg à faire ma mobilité en Grèce. J’ai eu un sentiment d’être abandonné par les autres qui n’avaient choisi que deux universités, lorsque dans mon hybris (un concept très grec, il faut l’avouer) j’en avais choisi trois. Par conséquent, j’étais le seul étudiant en France à apprendre cette langue mystérieuse et ancienne qui est parmi les seules langues dont le développement linguistique reste sans interruption à travers les siècles. Ηλιος est le nom du dieu solaire en grec ancien. Ηλιος est le nom du soleil en grec moderne. La langue cache sa mythologie dans ses mots les plus ordinaires.

Tout d’un coup je me suis retrouvé seul en salle de cours avec l’enseignante ; ce n’était qu’elle et moi. Lorsque les autres étudiants du master n’avaient choisi que l’Italie pour leur seconde année, j’avais commencé un parcours solitaire qui aller me rendre à un pays lointain, à Thessalonique, une ville dont je n’avais jamais entendu le nom. Pendant mon séjour en France la Grèce n’était qu’un rêve improbable. C’était impossible et éloigné. Mais le jour où les autres étudiants ont pris le train vers l’Italie, je me suis rendu compte que j’étais seul, puisque je prenais l’avion.

Après le confinement, Strasbourg était devenu pour moi un espace intime. L’idée de m’en aller me donnait beaucoup d’angoisse. C’est à cet instant que la littérature s’est révélée comme un cicérone, un guide dans ma destinée. Je me suis souvenu d’un passage de l’Odyssée, de ce texte magique produit en Grèce, le même pays qui allait m’accueillir.

Lorsqu’Ulysse se trouve aux Enfers, dit Homère, il parle avec le sage Tirésias. Il lui dit qu’après rentrer à Ithaque il devra entreprendre un nouveau voyage. Tirésias lui explique qu’il doit porter une rame sur son dos et marcher, marcher, marcher ; marcher jusqu’à ce qu’il trouve une terre qui ne connaisse pas la mer. Les hommes de cette terre ne sauront pas ce que c’est une rame. Ils croiront qu’il s’agit d’une pelle pour l’agriculture. Ulysse, ce marin, cet homme de la mer, devra vivre entre eux, et là son voyage sera fini. L’Odyssée ainsi m’a montré que le principe humain est le mouvement. Qu’il est impossible de rester dans le même endroit, dans un temps infini qui ne change jamais. La semaine avant de mon déménagement, lorsque je prenais l’air au Quai de Bateliers à Strasbourg j’ai écrit le poème suivant appelé Le Voyageur :

 

Dans quelques jours je quitte ce doux pays

Où j’ai connu l’amour et la lumière,

La France pleine d’or dont Strasbourg et Paris

Remplirent mon cœur de mille et une chimères.

Je ne veux pas partir, mais je comprends

Que maintes fois j’ai dû abandonner,

Laissant au fleuve de l’impossible Temps,

Des choses précieuses, des cœurs et des baisers.

Dans l’au-delà, Tirésias dit à Ulysse

« Tu vas quitter l’Ithaque à mon appel,

Une rame au dos (à l’âme un grand supplice)

Et tu mourras quand on y voit une pelle. »

Il dit : « Pourquoi ? Révèle-moi le mystère. »

Le sage ne parla pas et vit la mer.

 

Je pensais à ce passage lorsque je laissais la France. L’existence de l’étudiant international est une existence précaire. Après le torticolis d’un vol Ryan Air, on se retrouve dans un endroit où on ne connaît personne. Je n’avais pas le réseau d’amis que les autres ont pu retenir de la France ; j’étais un étranger dans une terre étrange. Le premier jour à Thessalonique je me suis dirigé vers la mer. Je me suis installé dans le port, où à mon insu, les meilleurs souvenirs de mon temps en Grèce allaient avoir lieu, où je ferais la connaissance de douzaines d’amis et de mon partenaire… Dans la solitude de cette première nuit je composé le poème suivant :

 

It was my wont to sit upon the river

And thereat see the hours drowned in time;

But all has changed; did I e’en once consider

That everything must end, both death and prime?

I sit before the sea, before the sun;

Sweet France this morn I left and I’m in Greece.

It isn’t me, it is another man

Who shall awake tomorrow gainst my pleas.

The sunset signals silence, yes and death;

My former dreams I shall consign to shadow,

But from the ashes there shall come a birth

And light will spring once more, upon the morrow.

This might yet be my time, and one must learn

To know to hope to trust to seek to yearn.

 

Le problème d’un master en lettres est qu’après des séances interminables de méthodologie de la recherche il est aisé d’oublier que l’objet de notre étude est magique. Que la littérature est une transfiguration constante de l’expérience vitale en symbole, en beauté. Que le but d’un livre n’est pas la création d’un mémoire.

En Grèce j’ai eu l’opportunité de comprendre cela. Mon séjour a abouti à un mémoire, c’est vrai, mais aussi à deux recueils de poésie, une pièce de théâtre et deux contes sur mon expérience qui ont été publiés par les Presses Universitaires de Strasbourg dans le cadre du Prix Louise Weiss 2020 et 2021 sous le nom de plume Ian Charles Lepine.

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